L'HISTOIRE DE L'HYDROPTERE
Une aventure humaine et technologique
Une aventure humaine et technologique
Tout commence en Californie à la fin des années 60 : à bord de Pen Duick IV, Éric Tabarly navigue à côté d’un étrange bateau qui évolue au-dessus de l’eau, en appui sur des plans porteurs qu’on appelle foils. Ce voilier, c’est Williwaw : construit par l’américain David Kieper, plutôt imaginé pour le voyage au long cours ; c’est le premier hydrofoil transocéanique connu. Avec un poids important et un équipage en surnombre, Williwaw, n’est pas un foudre de guerre… Mais quelque chose a fait « tilt » dans la tête d’Éric Tabarly quand il voit ce bateau voler. Lui qui est toujours en recherche d’innovation, il comprend instinctivement l’intérêt du foil : s’affranchir d’une partie de la résistance de l’eau en s’élevant au-dessus d’elle. Il veut des foils sur son prochain multicoque…
Dassault Aviation, fabricant français d’avions de chasse et de jets d'affaires est détenteur d’un savoir-faire innovant dans la mise en œuvre de panneaux en aluminium aéronautiques et cherche à se diversifier. Au sein de l’entreprise, l’idée est émise que ces compétences pourraient s’appliquer sur des navires de course au large, secteur en plein essor. Et c’est tout naturellement avec Éric Tabarly, LE spécialiste de la course au large, qu’Alain de Bergh, ingénieur de chez Dassault en charge des calculs de structure, va prendre contact. L’invitation à visiter les usines Dassault est donc lancée et quand Alain de Bergh demande à Éric Tabarly quelles peuvent être les utilisations possibles pour lui, il répond tout naturellement que cela pourrait s’appliquer au nouveau projet de trimaran de course qu’il a en tête, un engin qui mettra en œuvre des foils. Pas pour voler car la lenteur de Williwaw, du fait de son poids et de son équipage inexpérimenté, ne l’a pas amené encore sur cette voie, mais simplement pour soulager en partie les étraves et générer des gains de performances.
Si Éric Tabarly a une vision claire de ce qu’il souhaite, il n’a pas de plans. C’est donc en partant d’un cahier des charges oral qu’Alain de Bergh commence à dessiner un projet de trimaran à foils sur la base de ses connaissances aéronautiques. Les premiers dessins sortent avec des foils de petite taille, conformément au souhait d’Éric Tabarly. C’est l’arrivée imprévue de Pierre Perrier, ingénieur en charge des calculs aérodynamique chez Dassault Aviation, lors d’une réunion de travail qui va changer la donne : voyant les plans, il suggère que le bateau pourrait voler et calcule rapidement de nouveaux foils, plus grands, qui permettraient d’y parvenir. L’idée plaît à Éric Tabarly, mais il faut en démontrer la faisabilité. La construction d’un prototype échelle 1/3 est lancée et durant l’été 1976, Éric Tabarly essaie un prototype de trimaran volant construit autour d’une coque de Tornado par l’équipe de l’atelier du département de Génie civil de l’IUT de la Rochelle conduite par Jean Garnault d’après les calculs réalisés par le professeur Li Fang Tsen de l’Université de Poitiers et qui complètent le projet initial dessiné chez Dassault.
Le prototype vole bien, ce qui confirme la viabilité du projet. En 1979 la réalisation d’un trimaran à l’échelle 1 est lancée grâce à l’arrivée de la société Paul Ricard qui va sponsoriser le projet et donner son nom au bateau pour prendre le départ de la Transat en double Le Point-Europe 1 qui a lieu en cours d’année. Mais le manque de temps, le budget limité et le poids de l’aluminium, qui s’avère trop important par rapport au niveau de résistance attendu, vont aboutir à l’abandon de l’idée d’obtenir un bateau qui vole et la reprise du concept initial de soulagement des étraves. Mis à l’eau quelques jours seulement avant le départ de la course, le Paul Ricard manque de mise au point: il finira deuxième de la transat a à peine plus de 5 minutes du vainqueur. Mais c’est en 1980, sur le chemin du retour vers la France, qu’il entrera dans la légende : il pulvérise le record de la traversée de l’Atlantique à la voile détenu depuis 75 ans par le skipper Charlie Barr sur la goélette Atlantic. Pour Éric Tabarly, c’est la confirmation que son intuition était bonne : les foils sont une voie à explorer pour concevoir des bateaux de course performants.
En 1984, Éric Tabarly fait la connaissance d’un jeune marin, Alain Thébault. Ce dernier se montre très intéressé par la voie ouverte par le Paul Ricard de faire voler un bateau de course. Éric Tabarly obtient le rattachement d’Alain Thébault pendant son service militaire et les deux hommes commencent à travailler avec Alain de Bergh en repartant de l’option volante qui avait dû être abandonnée pour le Paul Ricard. Ce sont d’abord des maquettes tractées, réalisées par le fils d’Alain de Bergh, Christian, qui seront testées dans le grand canal du Château de Versailles. Puis viendront des maquettes radiocommandées.
En 1987, grâce à un financement de Dassault Aviation, une maquette à l’échelle 1/3 en matériaux composites, dont du carbone, est construite. Il faudra 4 ans, au gré des financements, à Alain Thébault pour la mettre au point et obtenir un vol stable dans le plus grand nombre d’allures possibles. En juin 1991, la maquette 1/3 est exposée au Salon aéronautique international du Bourget et suscite de l’intérêt. En août 1992, Éric Tabarly réunit chez lui, à Bénodet, un comité d’industriels et de décideurs et les convainc d’embarquer dans l’aventure. Et c’est ainsi que Dassault Aviation, la DCN (Naval Group), Matra, le CNES, Dassault Electronique, les Chantiers de l'Atlantique, Brochier SA (Hexcel Composites) s’attèlent à la construction de L’Hydroptère avec le soutien de la région des Pays de la Loire et le ministère de la Recherche.
En septembre 1994, L’Hydroptère est mis à l’eau à Saint-Nazaire et le 1er octobre, le premier vol est réalisé au large de Saint-Nazaire. Il vole bien et il vole vite ! Trop vite, peut-être, par rapport au dimensionnement de sa structure… Plus la vitesse augmente, plus les bras de liaison et les foils sont sollicités. Les efforts sont titanesques, bien au-delà des anticipations. Rapidement, les premières casses apparaissent : le foil arrière fin 1994 puis un bras de liaison un an plus tard.
Aerospatiale (Airbus) embarque alors dans l’aventure et réalise de nouveaux bras de liaison dont la structure est dérivée des nouvelles poutres structurelles en carbone mises en œuvre sur les A340. De nouveaux foils en carbone sur armatures titane sont réalisés. Toutes les ferrures en aluminium sont remplacées par du titane. Ce dispositif sera complété en 2004 par des écrêteurs d’efforts, sorte d’amortisseurs, dérivés du train d’atterrissage du Rafale Marine : installés sur la jambe de force qui maintient les foils latéraux à 45°C par rapport aux bras de liaison, ils permettent d’encaisser des efforts de 60 tonnes et limitent ainsi les risques de casse. L’apport de ces technologies aéronautiques sur L’Hydroptère, qui de fait se rapproche encore plus d’un avion, lui permettent enfin d’accélérer et de commencer à montrer son potentiel : le 9 février 2005, il bat le record de la traversée de la manche en 34 minutes 24 secondes, en étant plus rapide que Blériot et son avion.
Juin 2005, en pleine tentative de record entre Cadix en Espagne et San Salvador dans les Bahamas, L’Hydroptère heurte un OFNI au large des Canaries. Alors que le navire est mis en chantier à Lanzarote, une grosse tempête frappe les Canaries. Son ampleur est telle que L’Hydroptère, pourtant solidement arrimé, sort de ses bers et se fracasse sur le quai et les rochers, sonnant la fin prématurée de l’aventure.
Alors que tout semble perdu, à des milliers de kilomètres de là, en Suisse, Thierry Lombard, le directeur de la banque d'affaires Lombard-Odier, décide de sauver le projet et propose de l’aide à Alain Thébault et son équipe. L’Hydroptère est alors rapatrié en France et un chantier de rénovation et d'optimisation est lancé.
En 2006, il est de retour sur l’eau et l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) procède à l’optimisation hydrodynamique de ses foils, ce qui marque le point de départ d’une série de records :
Le 4 Avril 2007, L’Hydroptère mené par Alain Thébault et son équipage bat le record de vitesse absolu à la voile avec une vitesse moyenne de 44,81 nœuds sur 500 m et de 41,96 nœuds sur 1 mile nautique (1852 m).
En septembre 2009, la barre mythique des 50 nœuds, soit l’équivalent du passage du mur du son dans l’aéronautique, est franchie. Deux mois après, le 8 novembre, L’Hydroptère confirme son statut de trimaran volant le plus rapide du monde avec 51,36 nœuds sur 500 m, 50,17 nœuds sur 1 mile nautique et une pointe de vitesse à 55,5 nœuds (102,8 km/h).
En juillet 2012, L'Hydroptère est transporté en Californie dans le but de tenter le record Los Angeles-Honolulu alors détenu depuis 2005 par Olivier de Kersauson à bord de Geronimo. La tentative aura lieu en juin 2015 mais la fenêtre météo n’est pas bonne : le record ne sera pas battu. Faute de sponsors et de financement, L’Hydroptère sera abandonné à Hawaï peu après son arrivée.
Alors que L’Hydroptère est abandonné au mouillage dans le port de Keehi, une marina à la mauvaise réputation à côté de l’aéroport d’Honolulu, l’état d’Hawaï, qui souhaite faire le ménage dans ses ports, fini par le saisir et le mettre aux enchères. La date de la vente est fixée au 28 juin 2019. Cette vente, c’est la dernière chance de la dizaine de bateaux présents au catalogue avant une destruction certaine.
Relayé par le monde de la course au large, l’avis d’enchère de L’Hydroptère fait le tour d’internet. Deux passionnés de voile et de technologies, l’un californien, l’autre français, vont entendre ce que l’on peut considérer comme le dernier SOS de L’Hydroptère.
La veille au soir des enchères, Chris Welsh et Gabriel Terrasse se rencontrent au Yacht Club de Waikiki. Chris est un homme d'affaires et navigateur, il a un chantier naval en Californie. Gabriel a un réseau en France qui lui permet de trouver les compétences nécessaires à la mise en service et au fonctionnement de L’Hydroptère. Puisque leurs profils sont plutôt complémentaires, ils décident de s’associer plutôt que de s’affronter aux enchères. Et le fatidique 28 juin à 9h30, c’est ensemble qu’ils deviennent les nouveaux propriétaires de L’Hydroptère.
Si les coques, le mât, la structure, les foils, les écrêteurs sont intacts, L’Hydroptère a été intégralement pillé de tout équipement et accastillage durant son abandon : C’est une coquille vide, il faut tout refaire à bord. Cela prendra plusieurs mois et le 2 novembre, L’Hydroptère prend la mer en autonomie pour rejoindre le chantier de Chris Welsh à San Francisco où il arrive sans gros souci 15 jours plus tard. Courant 2020, L’Hydroptère est sorti de l’eau et entièrement démonté. En mai, le contact est pris avec le Technocentre Airbus de Nantes qui souhaite aider à la rénovation de L’Hydroptère. La logistique d’Airbus se mobilise et met à disposition ses navires qui font la liaison Alabama - Saint-Nazaire pour un rapatriement. En 2021, 2 voyages permettent de rapatrier toutes les parties aéronautiques de L’Hydroptère (foils, bras de liaison, écrêteurs) au Technocentre. Et en janvier 2023, la coque centrale, le mât et les flotteurs arrivent à leur tour. Après une odyssée de 3 ans et demi et 15 000 km, L’Hydroptère retrouve enfin la France !
Depuis son lancement, L’Hydroptère a toujours été un engin expérimental qui a maintes fois évolué. À tel point que le seul élément de 1994 encore présent à bord est la coque centrale. Cette perpétuelle amélioration a permis à L’Hydroptère de défricher les hautes vitesses à la voile et d’ouvrir la voie aux bateaux de course modernes, aujourd’hui presque tous équipés de foils.
L’innovation, c’est l’ADN de L’Hydroptère. Et c’est tout naturellement qu’il va continuer sa vie de plateforme expérimentale en accueillant à son bord des projets innovants et leur permettant un développement plus rapide. Si la quête de vitesse n’est aujourd’hui plus une priorité, c’est pour la recherche d’efficience, de recyclabilité, de durabilité, afin de contribuer à réduire notre impact sur l’environnement, que L’Hydroptère va reprendre son envol.
Début 2023, L’Hydroptère est toujours détenteur du record du monde de vitesse à la voile en catégorie D (plus de 27,8 m² de surface de voile) et reste le voilier de haute mer le plus rapide du monde.
Juin 2019 : la mise aux enchères par l’état d’Hawaii Alors que l’Hydroptère est abandonné au mouillage dans le port de Keehi, une marina à la mauvaise réputation à côté de l’aéroport d’Honolulu, l’état d’Hawaï, qui souhaite faire le ménage dans ses ports, fini par le saisir et le mettre aux enchères. La date de la vente est fixée au 28 juin 2019. Cette vente, c’est la dernière chance de la dizaine de bateaux présents au catalogue avant une destruction certaine. Relayé par le monde de la course au large, l’avis d’enchère de l’Hydroptère fait le tour d’internet. 2 passionnés de voile et de technologies, l’un californien, l’autre français, vont entendre ce que l’on peut considérer comme le dernier SOS de l’Hydroptère.